Qui est titulaire des droits sur une œuvre générée par IA ?
La généralisation des outils d’intelligence artificielle générative comme ChatGPT, DALL·E ou Midjourney soulève des questions complexes sur le terrain du droit d’auteur. Lorsqu’un texte, une image ou une mélodie est produite à l’aide de l’IA, qui en est l’auteur ? Peut-on revendiquer des droits sur un contenu que l’on n’a pas créé soi-même, mais qu’on a généré ? Et si oui, à quelles conditions ?
Aujourd’hui, le droit de l’Union européenne, tout comme les systèmes juridiques nord-américains ou asiatiques, est confronté à une réalité technologique qui précède l’évolution du droit positif. Cette incertitude génère des zones grises, mais certains principes se dégagent déjà.
Une protection par droit d’auteur uniquement pour les œuvres originales humaines
Le droit d’auteur protège toute œuvre dès sa création, sans formalité ni dépôt, à condition qu’elle soit originale. Cette originalité est traditionnellement définie comme l’expression de la personnalité de l’auteur, par des choix libres et créatifs. Le droit d’auteur en droit belge et dans l’Union européenne repose sur un principe fondamental : seule une personne physique peut être titulaire de droits. Cela signifie que l’intelligence artificielle, en tant qu’entité autonome, ne peut être reconnue comme auteure d’une œuvre au sens du droit.
Une œuvre générée de manière totalement autonome par un outil d’IA est donc considérée comme n’ayant pas d’auteur humain identifiable. Elle ne bénéficie d’aucune protection et tombe immédiatement dans le domaine public. Elle peut dès lors être utilisée, copiée, transformée et exploitée librement, sans autorisation ni attribution.
Trois cas de figure pratiques
Dans la pratique, il convient de distinguer trois situations selon le degré d’intervention humaine :
Première hypothèse : l’œuvre est entièrement créée par un humain, avec ou sans aide technique. Il n’y a alors aucun doute: le droit d’auteur s’applique de manière classique.
Deuxième hypothèse : l’outil d’IA est utilisé comme support dans le processus créatif. L’utilisateur formule des instructions précises, sélectionne certains résultats, les affine ou les édite, et apporte une contribution déterminante à la création finale. Dans ce cas, on parle d’œuvre assistée par IA. La protection par le droit d’auteur peut être reconnue, si l’intervention humaine est substantielle et démontrable.
Troisième hypothèse : l’utilisateur se contente d’entrer un prompt vague ou de générer un contenu sans réelle implication créative. L’IA fonctionne alors de manière quasi autonome. Le contenu généré n’est pas protégé, faute d’auteur identifiable. Il entre dans le domaine public immédiatement.
L’IA ne crée pas, elle produit
Sur le plan conceptuel, il est important de rappeler que l’IA ne crée pas au sens juridique du terme. Elle fonctionne par extrapolation statistique à partir d’une base de données d’apprentissage. Ce processus, bien que sophistiqué, ne relève pas de l’expression d’une personnalité propre, ni de choix créatifs humains. L’œuvre générée par IA n’a donc pas, en elle-même, de valeur juridique de création protégeable.
Ce qui est protégé, ce n’est pas l’idée, le thème ou le concept, mais la mise en forme concrète et originale par un humain. Le simple fait de rédiger un prompt, aussi détaillé soit-il, ne suffit pas en soi à démontrer une empreinte personnelle dans le résultat final. Une intervention humaine substantielle, orientée vers la création, reste indispensable.
Les décisions récentes en Union européenne et ailleurs
La jurisprudence est encore en construction mais plusieurs affaires permettent déjà d’identifier les tendances.
Une décision rendue à Prague en 2023 a été la première, dans l’UE, à refuser la protection d’une image générée via DALL·E. Le juge a considéré que le prompt utilisé ne constituait qu’un simple thème, une simple idée, non protégeable, et qu’aucune preuve d’intervention créative humaine n’était rapportée. Il n’a cependant pas exclu qu’une protection puisse être envisageable dans des cas où l’apport humain est plus manifeste.
En Chine, la Cour de Pékin a adopté une position plus pragmatique dans l’affaire Li c. Liu, en reconnaissant la titularité à un utilisateur ayant généré une image via IA. Elle a estimé que les prompts contenaient une expression intellectuelle suffisante et que l’IA pouvait être assimilée à un outil technique, comme un appareil photo.
Aux États-Unis, en revanche, la position est plutôt claire : seul un être humain peut être reconnu comme auteur. Dans l’affaire Kashtanova, le US Copyright Office a admis la protection du scénario et de la structure d’une bande dessinée, mais a refusé celle des images générées via Midjourney, en raison du manque de contrôle créatif de l’utilisateur sur le résultat. Dans une autre affaire célèbre, l’œuvre "A Recent Entrance to Paradise", produite sans aucune intervention humaine, a été expressément refusée à la protection par la justice fédérale.
Plus récemment (janvier 2025), le US Copyright Office a accepté la protection d’une œuvre générée par IA car l’empreinte personnelle substantielle de l’auteur avait été démontrée via une vidéo lors du dépôt.
Ces décisions convergent : la titularité des droits ne repose pas sur l’outil utilisé, mais sur le rôle actif de l’humain dans le processus créatif.
Enjeux concrets pour les entreprises
Pour les entreprises qui utilisent des outils d’IA générative dans leur activité (marketing, communication, design, rédaction, musique, etc.), ces distinctions ne sont pas théoriques. Elles ont des conséquences directes sur la titularité des droits, la protection des actifs immatériels et la sécurisation des contrats.
Il est donc essentiel de :
sensibiliser les équipes à ces règles, notamment via des formations ciblées ;
formaliser les usages internes via une charte d’utilisation de l’IA ;
prévoir des clauses précises dans les contrats avec les salariés et les prestataires, notamment en matière de cession de droits sur les contenus créés (même lorsqu’ils sont assistés par IA).
Le règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act) insiste d’ailleurs sur l’importance de former les utilisateurs professionnels à la bonne maîtrise des outils d’IA. Son article 4 impose de mettre en place des mesures adaptées en fonction des compétences, de l’expérience et du contexte d’utilisation des systèmes d’IA.
Vers une protection conditionnée à l’empreinte humaine
La question n’est donc pas tant de savoir si une œuvre générée par IA peut être protégée, mais si l’intervention humaine dans le processus est suffisante pour justifier une protection. Plus cette intervention est structurante et documentée, plus la probabilité d’une reconnaissance des droits d’auteur est élevée.
En l’absence d’une contribution humaine significative, l’œuvre restera librement utilisable. Cela peut être un avantage… ou un risque, selon la position que l’on occupe dans la chaîne de valeur.
Conclusion
Le droit d’auteur dans l’Union européenne repose encore solidement sur une condition d’humanité. La reconnaissance de droits sur une œuvre générée par IA reste possible, mais à condition de pouvoir démontrer une contribution humaine réelle, créative et identifiable. Le simple usage d’un outil d’IA ne suffit pas.
Cette incertitude juridique implique pour les professionnels une vigilance accrue : il faut structurer les processus de création, sensibiliser les équipes, sécuriser contractuellement les droits, et conserver la preuve de l’apport humain.
La jurisprudence continuera d’évoluer, mais la direction est claire : l’humain reste au cœur de la protection juridique de la création, même à l’ère de l’intelligence artificielle.
*
Tu souhaites être accompagné(e) pour rédiger une charte IA, encadrer contractuellement l’usage d’outils génératifs, ou anticiper les questions de titularité des droits ? N’hésite pas à me contacter.